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Hassen Khelifati (Pdg d’Alliance Assurances) à l’Actualité-éco : « Nous devons mettre un terme à la politique des assurances aux rabais »

Le Président Directeur Général d’Alliance Assurances dresse pour « L’Actualité-éco » un diagnostic global du secteur des assurances en Algérie, comme il évoque certains dysfonctionnements qui grippent l’activité dans son ensemble.. 

Propos recueillis par Mourad.H

Pouvez-vous nous dresser un constat global sur le secteur des assurances en Algérie au regard du contexte de la pandémie du covid-19 ?

Si on regarde les chiffres de l’année 2020, qui ont coïncidé avec la pandémie et accentuée aussi par la crise économique qui était pendante en Algérie, depuis plusieurs années, 2020 a été une année où le secteur des assurances a connu une décroissance, avec un recul de moins de 5 % sur l’année 2019. Les conséquences de la pandémie ont fait que les coûts de la réassurance internationale ont augmenté, ce qui fait que les coûts de la réassurance des grands risques placés à l’international ont été multipliés par 20, voire 40 %. Toutefois, ce qui a sauvé le marché c’était ce réajustement international qui a fait que nous avons connu une moindre décroissance.

Pour l’année 2021, jusqu’au mois de septembre, le marché a connu effectivement une croissance, même temporaire, de 7 %, mais avec des caractéristiques d’un recul de moins 4 % en automobile. C’est vrai que l’IARD (Incendie, Accidents et Risques Divers) a augmenté de 20 %, ce qui a tiré le marché vers le haut. Mais, disons que le marché, globalement, garde les mêmes indicateurs, c’est-à-dire nous sommes en croissance négative. Nous avons un taux de pénétration, par rapport au PIB qui ne dépasse pas le 0,7 ou 0,8 %, nous n’arrivons pas à casser le plafond de 1 %. Nous avons un taux de règlement des sinistres très bas, par rapport à ce qui doit être, d’après les chiffres du CNA (Conseil national des Assurances), nous tournons autour de 36 %, c’est-à-dire que notre stock-sinistres double chaque 16 mois et un taux de créances qui frôle les 70 à 80, voire 90 milliards de dinars, ce qui représente 50 à 60 % du chiffre d’affaires et le plus gros de ces créances peut même être classé «  douteux », c’est-à-dire difficilement recouvrable, étant donné aussi la situation des entreprises qui ont une trésorerie très tendue ainsi qu’un manque de plan de charge, ce sont ainsi beaucoup de paramètres qui rendent la situation du secteur très compliquée. L’autre aspect est inhérent à notre classement à l’international, nous sommes à la 75e place, sur le marché africain, le taux de pénétration est en moyenne de 3 %, au niveau mondial c’es 6 %, alors que nous sommes toujours au dessous du 1 %. Nos voisins immédiats dépassent largement les 2 à 3 %.

Pouvons nous dire que c’est un problème de culture de l’assurance qui fait défaut ?

Pas du tout, la culture est une explication relative. Aujourd’hui, il y a des facteurs internes au secteur qui font que si nous ne feront rien nous n’allons jamais dépasser cette situation, nous continuerons à creuser notre propre tombe. En plus clair, la caractéristique du marché algérien c’est le dumping, le cassage des prix, c’est la fuite en avant, le non-paiement des sinistres, et quand on vend à perte on ne peut payer les sinistres, de fait le nombre de dossiers s’accumule, d’année en année. Nous pouvons stabiliser les tarifs, si je prends par exemple les tarifs de la RC- automobile, nous sommes à une moyenne de 4000 dinars de prime annuelle, notre voisin de l’Est est à 20.000 dinars, celui de l’Ouest est à 30.000 dinars, notre voisin du Nord de la Méditerranée est à 45.000 dinars, pour le même véhicule, annuellement.

Chez nous, on continue cette politique de l’Assurance aux rabais, du fait, on ne peut pas développer le secteur, ni en culture, ni en qualité de service, ni en diversification et innovation. La régulation doit être un acteur du marché. Aujourd’hui, il faut mettre un terme à tous les pratiques du dumping, et de ne pas pouvoir payer les sinistres à temps et en montant voulu. Car, on peut poser la question à l’envers : Est-ce qu’il faut offrir les services et la qualité pour que l’algérien croit et se cultive à l’assurance ? On ne peut pas lui demander d’avoir la culture de l’assurance alors qu’on lui offre des services médiocres et qu’on ne lui paye pas ses sinistres à temps. Aujourd’hui, nous sommes dans une sorte de « poker menteur », c’est-à-dire, on fait semblant de vous assurer à des prix aux rabais et vous accepter, de fait, qu’on ne vous rembourse pas correctement, ni en temps ni en montant.

Tout cela rend ne rend-il pas inéluctablement la situation des compagnies d’assurance tendue ?

Effectivement, cela rend la situation du secteur très tendue. Les finances des compagnies d’assurance  sont très tendues, il y a un déséquilibre flagrant, technique et financier, de la branche automobile et de toutes les branches, ce qui a entrainé des distorsions certaines sur le marché.

Potentiellement, et en parallèle avec la moyenne africaine, le marché algérien peut produire entre 5 et 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, selon notre PIB. Aujourd’hui, nous faisons moins d’un milliard de dollars, parce qu’on n’impose pas une discipline tarifaire et une discipline de qualité de service. Nos voisins font beaucoup mieux que nous. Tout cela pour dire que l’assurance est un quasi collecteur d’épargne et aussi un financeur de l’économie, parce que nous plaçons 75 % de nos avoirs dans le circuit bancaire et financier. Donc, tous cela réuni, nous fait dire que s’il y aurait une volonté économique et que le Ministère des Finances nous accompagne, autant qu’UAR (Union Algérienne des Sociétés d’Assurance et de Réassurance), nous pourrons doubler, voire tripler, nos résultats techniques en deux ou trois ans.

Vous avez évoqué récemment l’existence d’une certaine dichotomie entre le secteur privé et celui du public quant à l’accès aux marchés publics, qu’en est-il exactement ?

Dans ce chapitre, le code des marchés publics, à travers son article 3, garantit l’accès aux marchés publics et l’égalité des chances. Le discours du président de la République et celui du gouvernement ne parlent plus d’entreprise publique et entrepris privée, mais de l’entreprise algérienne, d’ailleurs le Premier ministre- ministre des Finances l’avait affirmé au CNA que pour le gouvernement il n’y a que l’entreprise algérienne qui existe, mais sur le terrain, nous constatons autre chose. Aujourd’hui, nous avons perdu 80 à 90 % des marchés publics,  et là on parle des petits marchés comme les APC, les centres de soins ou autres centres de formation, on ne parle pas des grandes entreprises. Nous avons perdu des marchés parce qu’il y a certains qui mettent des cahiers de charges avec des conditions éliminatoires, qui vise directement le secteur privé, je donne l’exemple le niveau de capital minimum exigé de 10 milliards de dinars alors que la loi n’exige que deux milliards, c’est illégal, comme aussi l’ancienneté de 30 ans exigée.. ce genre de critères éliminatoires est discriminatoire. Il y a aussi certaines banques, même si ce n’pas la volonté de leurs directions générales, qui exigent sur certains crédits de leur clientèle des assurances de compagnies publiques, comme il y a même certains intermédiaires du secteur, paradoxalement eux-mêmes privés, qui font tout pour guider leurs clients vers les compagnies publiques, par des subterfuges et des conditions éliminatoires. Ce constat part des années 2019, 2020 et 2021 et qui s’est accéléré avec le climat des arrestations de certains dirigeants, les managers de fait ont peur. En somme, l’environnement a créé  beaucoup de distorsions, de frustrations et de discriminations. On fait tout pour orienter les affaires vers le secteur public, d’ailleurs les resultats de 2020 et 2021 le montrent ; le secteur privé était à peu près à 25 % alors qu’aujourd’hui il est à 21 %, au 30 septembre 2021, durant les neuf premiers mois de 2021, le secteur privé des assurances affiche un recul de 1,35 milliards de dinars alors que le secteur public a augmenté de 8 milliards de dinars en chiffre d’affaires. Donc,  c’est une lame de fond, on la sent qu’elle est là, nous sommes en train d’observer, nous attirons l’attention et nous alertons, et on ne peut pas dire qu’elle n’existe pas.

Une nouvelle loi sur les assurances est en phase de préparation. Dégagez-vous un certain optimisme par rapport à son contenu ?

Nous attendons d’abord la loi. Nous avons fait des propositions au sein de l’UAR et espérons qu’elles seront prises en charge. Il y a beaucoup d’aspects importants, notamment l’indépendance de la régulation, c’est de créer une agence nationale de régulation. Actuellement, la régulation est positionnée au niveau du ministère des Finances, le ministère qui est lui-même propriétaire et administrateurs des compagnies publiques, de fait, il y a une certaine imbrication qui peut créer des conflits d’intérêts. Il y a aussi la problématique de l’article 17 de la Loi 95/07 qui évoque les règlements des contrats d’assurance, il y avait une ambigüité sur cet article, qui a été levée par la Commission, et qui fait qu’aujourd’hui, on se retrouve avec des dizaines de milliards de créances non-recouvrables. Dans tous les pays du monde, l’assurance est basée sur le principe « no cash- no cover », c’est-à-dire : si vous ne payez pas, vous n’avez pas la couverture. Or, la mauvaise interprétation de cet article fait que beaucoup d’assurés, notamment les entreprises, laissent des ardoises et en cas de sinistre, l’assureur paye même s’il n’est pas payé. Devant ce fait, le juge considère que l’affaire du payement est un autre aspect qu’il faut régler par ailleurs. Nous voulons que cette hémorragie s’arrête. Voilà ce que nous attendons de cette loi.

Dans le programme du gouvernement, adopté en septembre dernier, cette loi a été inscrite en bon endroit, il est possible qu’elle soit traité au premier trimestre de cette nouvelle année. Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on n’a pas vu la mouture finale de ladite loi. Nous avons saisi le Premier ministre- ministre des Finances, de peur que nos propositions ne soient pas prises en charge. Nous ne voulons pas que cette loi soit contestée dès sa promulgation.

Certains avancent que des compagnies d’assurances ne respectent pas l’accord multilatéral autour des tarifes. Le problème existe-il réellement ?

Tout à fait. Nous avons convenu d’un accord multilatéral pour essayer de maitriser les tarifs. Aujourd’hui, il y a effectivement des compagnies qui essayent de ne pas l’appliquer et continuent à le transgresser, malgré que cela leur pose problème pour tenir leurs engagements et payer les sinistres. Avec les nouvelles nominations et la nouvelle organisation au niveau du ministère de Finances, nous attendons, autant qu’UAR que les structures se mettent en place, parce que l’UAR va exiger des sanctions contre les membres qui ne respectent pas l’accord multilatéral, on peut aller jusqu’à des sanctions très lourdes, en premier, la suspension provisoire de l’agrément automobile. Nous avons fait des réunions avec les premiers responsables, nous les avons sensibilisé, mais à un certain moment, la régulation doit intervenir et mettre le holà.

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